Abécédaire du devenir

Désobéir c’est apprendre à bien vivre

Fragments de pensées – Philo analyse 

Première leçon :  

Famille, école, voici les premières structures auxquelles on appartient sans vraiment l’avoir choisi ; comme on ne choisit pas non plus de porter un prénom ou d’être inscrit sur les listes de l’état civil. Notre naissance signe notre « inscription » à un ensemble, dans une structure familiale pour commencer. Apprendre à reconnaître et à « respecter » ce cadre est l’une des visées primaires de notre éducation. Ce cadre est aussi à l’origine de la nuance morale qui divise le fond de notre existence en bien et en mal. « Bien » pour honorer les règles et les valeurs morales et « mal » pour les contrer.  

Durant ces jeunes années, on ne réfléchit pas à la possibilité de nier l’obéissance à ces « instances ». Notre fonctionnement répond à la satisfaction de nos besoins. On est peut-être ponctuellement désobéissant mais sans plus car, il n’y a pas de fond sensé (analyse) dans ces attitudes, si ce n’est une tentative de tester les limites de ce qui nous engage à rester dans le jeu. De surcroît, on comprend assez vite qu’appartenir à un ensemble est lié à notre besoin d’attention et d’amour et que briser cette appartenance, nous condamnerait à l’exclusion, à une sorte de non-être social. Par exemple, une punition qu’un enfant reçoit n’est pas juste une privation concrétisée dans le monde physique ; c’est surtout une privation d’attention bienveillante, une sortie violente de l’ensemble qui jusque-là l’accueillait avec chaleur et compréhension. Que faire face à cet ostracisme prématuré ? La seule chose qui intéresse un individu exclu c’est d’essayer de revenir à tout prix dans le cadre avec les autres. 

Deuxième leçon : 

L’obéissance est le résultat d’une continuité, d’une régularité comportementale voire d’une façon d’être ; ce n’est qu’en ce sens qu’elle fait parler d’elle. Obéir est la pierre de touche de tout système, l’acte par excellence des sujets qui garantit et qui assure la longévité de toute sorte de structure. Suivre les règles d’un système signifie automatiquement se plier à son autorité, - familiale, sociale, politique, économique ou autre-, à une valeur de pouvoir supérieure à la valeur morale de sa propre personne. Pour dire que quelqu’un est obéissant, il faut l’avoir vu à plusieurs reprises opérer et agir de façon servile car, l’importance d’un qualificatif de la sorte est désignée par la création d’une tendance. On l’appelle communément : la servitude. Par conséquent, on pourrait affirmer qu’obéir sonne plus laid que désobéir, si ce dernier verbe embrasse la possibilité d’une discontinuité, d’une résistance quelconque, d’un aveu contre un ordre établi. 

Troisième leçon : 

En termes d’ontologie sociopolitique, l’obéissance est considérée comme une vertu et la désobéissance comme un leurre. L’obéissance engage une forme de régularité chère à la viabilité d’un système alors que la désobéissance surgit comme un effet de surprise qui met à mal sa stabilité et la loi de causalité. Il est évident que dans ce sens, la désobéissance nuit à la cohésion d’un ensemble, puisqu’à ses côtés tout devient spontanéité, étonnement, contingence. 

Cependant, l’acte de désobéir est porteur d’une esthétique certaine car, se défaire des règles, se révolter, se rebeller, dévoile le courage de devenir soi-même accompagné du désir d’exister pleinement. Dès lors, la désobéissance relève d’un cri intérieur, d’une sorte d’incontinence qui fait qu’on ne peut /veut plus se tenir dans le cadre, là où on se trouvait avant en termes d’être (attitude) et de faire (action). Il s’agit d’un événement qui fait parler de lui en tant que différent de ceux qui lui précédaient. Par conséquent, la caractéristique première de la désobéissance sensée est son imprévisibilité, la liant davantage à une sorte de crise, de rupture, comme une distinction nette entre un « avant » et un « après ». 

Le mot de la fin :

En définitive, ce pourrait être prometteur ou tout juste intéressant de cesser de croire que la vie est un champ de bataille, qu’il faut constamment prouver son mérite d’être là et de faire partie de ce monde. Être-là c’est un cadeau, on ne peut que l’accueillir comme tel. Mais ce dont notre vie est faite est le résultat de notre contribution. Nous pouvons être aussi heureux que malheureux, car nous sommes les maîtres de nos parcours. Nos choix dictent nos conduites et l’issue de nos actions. Quand nous laissons les autres choisir et prendre les décisions à notre place, c’est notre propre vie que nous leur offrons. C’est à notre puissance d’agir que nous renonçons. Le sens de la désobéissance se cache juste là : réanimer le pouvoir de la volonté, activer le courage de décider pour soi. Cette vision passe forcément par les mots qui façonnent nos pensées, car nous sommes des êtres dotés de raison. Tous les qualificatifs que nous attribuons à la vie (dure, compliquée, belle, triste, magique, terrible etc.), actualisent le décor de notre réalité. Si je crois que la vie est dure, je fais de sorte qu’elle le devienne. Chaque mot porte un pouvoir d’actualisation dans le monde réel et je suis l’agent qui le rend effectif. C’est ainsi que ma pensée participe activement à mon devenir. 

Nous avons la liberté de choisir le sens des mots qui dicteront nos vies tout en maîtrisant nos attitudes. Nous pouvons obéir à tout et devenir des esclaves, comme nous pouvons désobéir à tout et devenir des rebelles sans identité et sans but. Mais nous pouvons surtout mesurer nos états d’âme, accepter et contrôler nos émotions et nos pensées. Devenir les êtres singuliers que nous sommes. Créer notre vie à notre image ; cela inclue tant une désobéissance sensée à autrui et aux normes qu’une obéissance pérenne à notre humanité. La dynamique de la vie embrasse les contraires et peut actualiser soit un état de servitude soit un état de résistance. A nous de voir sur quelle lignée nous plaçons le sort de notre devenir !

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